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mercredi 28 janvier 2015

La reine du cinéma italien SOPHIA LOREN




La reine du cinéma italien revient, dans Hier, aujourd’­hui et demain (Flam­ma­rion), sur les moments clés de sa carrière excep­tion­nelle et de sa vie privée. Mais pour l’ac­trice napo­li­taine, qui a tourné avec tant de monstres sacrés, son époux Carlo Ponti (décédé en 2007), ses deux fils Carlo Jr et Edoardo, ainsi que ses quatre petits-enfants seront toujours  « ses meilleurs films ». Extraits exclu­sifs. 
Carlo, l’homme de sa vie, son pygma­lion

[…] C'était un soir du mois de septembre 1951. Un énième concours de beauté (Miss Latium ou Miss Rome, je ne me souviens plus) avait été orga­nisé à Colle Oppio, dans un très beau restau­rant en plein air donnant sur le Coli­sée. Une légère brise de mer souf­flait, l'air était doux et avait gardé le parfum de l'été. J'étais désor­mais une habi­tuée de ce genre de mani­fes­ta­tion, avec une préfé­rence marquée pour les deuxièmes places. Mais ce soir-là, je n'y pensais pas le moins du monde. J'étais venue pour m'amuser, pour me distraire et pour danser, ce que je faisais très bien. […] Tout à coup, un maître d'hôtel s'appro­cha de moi et me tendit un billet : « Pourquoi ne parti­ci­pez-vous pas vous aussi au défilé ? Cela me ferait plai­sir."
« Qu'est-ce qu'il me veut celui-là, pensai-je. Et puis, qui est-ce ? Il n'en est pas ques­tion, ce soir je ne suis pas d'humeur. » […] Lorsqu'on me remit une  seconde invi­ta­tion, signée Carlo Ponti, je finis par céder […] Carlo avait trente-neuf ans, vingt-deux de plus que moi ; déjà célèbre, il était à l'apogée de sa fulgu­rante carrière. Comme il s'empressa de me le dire lorsqu'il vint se présen­ter, à la fin du concours, il avait décou­vert d'aussi grandes divas que Gina Lollo­bri­gida, Sylva Koscina et Lucia Bosè, que j'adorais.  »Accep­te­riez-vous de faire quelques pas dans le parc ? C'est un lieu enchan­teur, on l'appelle “le jardin aux roses“, elles ont un parfum déli­cieux, vous verrez…" Tout en me disant cela, il me fit lever et me posa sur les épaules mon léger châle d'organdi […] "Avez-vous déjà passé un bout d'essai ?, me demanda-t-il à brûle-pour­point alors que notre prome­nade touchait à sa fin.
-A vrai dire…
-Vous avez un visage inté­res­sant, conti­nua-t-il sur un ton plein d'auto­rité auquel il était diffi­cile de résis­ter. Passez me voir à mon bureau. Nous verrons l'effet qu'il donne sur un écran." […] Ce qui est sûr, c'est que mon instinct me poussa à accep­ter aussi­tôt cette invi­ta­tion reçue dans le roman­tique jardin aux roses. Je ne me souviens pas si j'y suis allée dès le lende­main matin ou si j'ai laissé passer un jour ou deux. Le fait est que j'étais très impa­tiente de comprendre si son inté­rêt pour moi était aussi sincère et fondé qu'il m'avait semblé. Comme d'ordi­naire, ma mère voulut m'accom­pa­gner ; mais cette fois-là, je la retins dans son élan. « Mammina, il vaut mieux que j'y aille seule. » Elle me lança un regard à la fois vexé et inquiet, et essaya d'insis­ter. J'avais toute­fois bien mûri ma déci­sion, et rien ne me ferait plus chan­ger d'avis. 
[…] J'étais vrai­ment jeune, j'avais devant moi un homme puis­sant, beau­coup plus âgé et expé­ri­menté que moi ; je commençais à m'atta­cher à lui et il tenait entre ses mains le fil de mon destin… […] Par certains aspects, sa présence avait cette saveur pater­nelle qui m'avait toujours manqué. Il était pour moi comme une sorte d'ancre, de lien qui vous rattache au port, alors que tout le reste n'est que mouve­ment inquié­tant, exci­tant, fréné­tique. Cet homme entrait dans ma vie à petits pas, sans que je m'en rende compte […]
Quand Cary Grant sème le trou­ble…
[…] La première fois qu'il m'invita à dîner, je crus que je n'avais pas bien compris et je réagis avec toute la naïveté dont j'étais capable : « You and me ? Out for dinner ? Are you sure ? » Que pouvait-il bien trou­ver d'inté­res­sant à cette gamine italienne qui bara­goui­nait à peine l'anglais et qui avait moins de la moitié de son âge ? Et de quoi allions-nous parler, tout au long de cette soirée ? Il ne se trou­bla pas. « Yes darling, you and me, out for dinner. » […] Ce fut une soirée magique, hors du temps, durant laquelle nous bavar­dâmes comme de vieux amis, enivrés par les parfums de cette fin de prin­temps. […] J'étais fasci­née par son humour sec, par sa sagesse pleine d'affec­tion, par son expé­rience. J'appris beau­coup rien qu'à obser­ver son approche de la vie et de notre métier. Nous prîmes l'habi­tude de passer de plus en plus de temps ensemble. J'étais alors âgée de vingt-deux ans, et je me sentais étour­die pas une exis­tence qui allait trop vite ; il en avait cinquante-deux et avait déjà beau­coup vécu et beau­coup souf­fert, même si, en appa­rence, rien ne lui manquait. […] Nous devi­nions tous deux que le senti­ment qui nous liait commençait à prendre une nuance d'amour, et, bien que pour des raisons diffé­rentes, cela nous faisait peur. J'appar­te­nais à Carlo, qui était désor­mais mon foyer et ma famille, même s'il en avait déjà une et que nous ne savions abso­lu­ment pas quand nous pour­rions nous marier et vivre ensemble au grand jour. Cary aussi était marié et son épouse, Betsy Drake, multi­pliait les allées et venues sur le tour­nage. Il ne se passait plus rien entre eux depuis une époque bien anté­rieure à Orgueil et Passion, mais elle espé­rait peut-être encore le reconqué­rir […] Par chance, nous logions dans deux hôtels diffé­rents, ce qui nous aidait à main­te­nir un mini­mum de distance. […] Je me lais­sais séduire par ses paroles, mais je conser­vais toujours une certaine rete­nue. Je ne voulais pas, je ne pouvais pas lui donner de faux espoirs. […] J'étais de plus en plus tiraillée, entre deux hommes et surtout entre deux mondes. Chaque matin, je me réveillais en me deman­dant ce qui allait se passer dans la jour­née. Je savais que ma place était auprès de Carlo, c'était lui mon port d'attache […] Mais dans le même temps, il était diffi­cile de résis­ter au magné­tisme d'un homme tel que Cary, qui se disait prêt à renon­cer à tout pour moi. Le dernier soir, il m'invita à dîner avec un brin de solen­nité supplé­men­taire. Je me mis, en mon for inté­rieur, à éprou­ver les pires craintes. Je n'étais pas prépa­rée à ce qu'il s'apprê­tait à me dire. De but en blanc, dans le triomphe d'un splen­dide crépus­cule, il s'immo­bi­lisa, me regarda droit dans les yeux et me dit simple­ment : « Veux-tu m'épou­ser ? » (…) Je finis par murmu­rer, avec un filet de voix : « Cary, mon très cher, j'ai besoin de temps. » Je me sentais toute petite face à un choix impos­sible. Il comprit et amor­tit le choc par une touche d'humour léger : « Pourquoi ne pas nous marier en atten­dant, et éven­tuel­le­ment y réflé­chir après ? » […]
Maman, son plus beau rôle.
[…] Je perdis un deuxième enfant pendant le tour­nage de La Belle et le Cava­lier, un beau conte de fées de Fran­cesco Rosi avec Omar Sharif […] Mon gyné­co­logue, pour­tant consi­déré comme le meilleur de Rome, ne m'aida pas beau­coup. Bien au contraire. Lorsque je ressen­tis ces douleurs que je connais­sais, hélas, déjà, j'étais chez moi (nous habi­tions depuis quelque temps dans une très belle villa à Marino, sur les collines des envi­rons de Rome) ; Carlo était à Londres pour affaires, mais mon cher ami Basi­lio me tenait compa­gnie. (…) « Venez tout de suite, je vous en prie… Je vous répète que madame Loren a des contrac­tions, elle est très pâle, elle se sent défaillir. » Le grand profes­seur ne se laissa pas atten­drir et se contenta de décla­rer, avec beau­coup de morgue : « Mais ce n'est rien du tout, donnez-lui une camo­mille et nous en repar­le­rons demain. » […] Lorsque, à quatre heures du matin, les douleurs cessèrent, je compris que tout était fini. Ines (son assis­tante, ndlr) appela le profes­seur, pour le mettre devant le fait accom­pli. Il arriva sans se dépar­tir de son calme, vers six heures, et se montra pour le moins tran­chant : « Madame, vous avez certai­ne­ment de très belles hanches, vous êtes une femme splen­dide, mais vous n'aurez jamais d'enfants. » Cette phrase me donna la sensa­tion d'être une inca­pable, stérile et profon­dé­ment inadap­tée, et elle anéan­tit tous mes espoirs. Nous étions bien loin du conte de fées. Ma vie partait à la dérive, triste et sans avenir. Et les jour­naux prirent soin de rendre les choses plus diffi­ciles, en étalant notre douleur à tous les coins de rue. […] Mais heureu­se­ment, face aux obstacles, le sort vous réserve parfois d'agréables surprises : un léger souffle de vent qui permet de virer de bord ; l'annonce d'une solu­tion. Et ce fut le cas pour nous. […] Il s'appe­lait Hubert de Watte­ville et diri­geait le service de gyné­co­lo­gie de l'hôpi­tal canto­nal de Genève. Grand et très maigre, âgé d'une soixan­taine d'années, il avait un nez aqui­lin et des manières aris­to­cra­tiques, quelque peu distantes. […] Après avoir longue­ment étudié mon cas, il en arriva à des conclu­sions bien plus opti­mistes que je ne crai­gnais. « Il n'y a rien qui cloche, vous êtes une femme tout à fait normale. La prochaine fois que vous tombe­rez enceinte, il faudra vous suivre de très près pour bien comprendre comment inter­ve­nir. Vous verrez, cette fois-ci, tout se passera bien. »
Lorsque, début 1968, ma troi­sième gros­sesse se déclara, je m'instal­lai à Genève. Je choi­sis un hôtel près du cabi­net du profes­seur, je me mis au lit et j'atten­dis patiem­ment, sous son regard plein d'auto­rité, l'accom­plis­se­ment du miracle. Il m'examina dans tous les sens, me pres­cri­vit tous les examens possibles et finit par me dire en souriant : « Votre problème tient à un manque d'oestro­gènes, qui empêche l'œuf de s'atta­cher. Nous allons vous en donner, sous forme de belles piqûres, et votre enfant naîtra en décembre. Comme le petit Jésus ! » […] Afin d'éviter toute compli­ca­tion supplé­men­taire, il avait été décidé de procé­der à une césa­rienne ; le jour convenu, Watte­ville vint me cher­cher en cachette à cinq heures du matin […] Carlo Hubert Leone Jr naquit quelques heures plus tard : Carlo comme son père, Hubert en hommage au docteur de Watte­ville, Leone pour rappe­ler son grand-père pater­nel. Il m'offrit la douceur la plus intense que j'aie jamais éprou­vée ; elle n'eut d'égale que celle que me donna Edoardo, quatre ans plus tard. Main­te­nant oui, mon conte de fées, le vrai, était devenu réalité.













 
Sources : Gala, web

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