La reine du cinéma italien revient, dans Hier, aujourd’hui et demain (Flammarion), sur les moments clés de sa carrière exceptionnelle et de sa vie privée. Mais pour l’actrice napolitaine,
qui a tourné avec tant de monstres sacrés, son époux Carlo Ponti
(décédé en 2007), ses deux fils Carlo Jr et Edoardo, ainsi que ses
quatre petits-enfants seront toujours « ses meilleurs films ». Extraits exclusifs.
Carlo, l’homme de sa vie, son pygmalion
[…]
C'était un soir du mois de septembre 1951. Un énième concours de beauté
(Miss Latium ou Miss Rome, je ne me souviens plus) avait été organisé à
Colle Oppio, dans un très beau restaurant en plein air donnant sur le
Colisée. Une légère brise de mer soufflait, l'air était doux et avait
gardé le parfum de l'été. J'étais désormais une habituée de ce genre
de manifestation, avec une préférence marquée pour les deuxièmes
places. Mais ce soir-là, je n'y pensais pas le moins du monde.
J'étais venue pour m'amuser, pour me distraire et pour danser, ce que je
faisais très bien. […] Tout à coup, un maître d'hôtel s'approcha
de moi et me tendit un billet : « Pourquoi ne participez-vous pas vous
aussi au défilé ? Cela me ferait plaisir."
« Qu'est-ce qu'il me
veut celui-là, pensai-je. Et puis, qui est-ce ? Il n'en est pas
question, ce soir je ne suis pas d'humeur. » […] Lorsqu'on me remit
une seconde invitation, signée Carlo Ponti, je finis par céder
[…] Carlo avait trente-neuf ans, vingt-deux de plus que moi ; déjà
célèbre, il était à l'apogée de sa fulgurante carrière. Comme il
s'empressa de me le dire lorsqu'il vint se présenter, à la fin du
concours, il avait découvert d'aussi grandes divas que Gina
Lollobrigida, Sylva Koscina et Lucia Bosè, que j'adorais.
»Accepteriez-vous de faire quelques pas dans le parc ? C'est un lieu
enchanteur, on l'appelle “le jardin aux roses“, elles ont un parfum
délicieux, vous verrez…" Tout en me disant cela, il me fit lever et me
posa sur les épaules mon léger châle d'organdi […] "Avez-vous déjà passé
un bout d'essai ?, me demanda-t-il à brûle-pourpoint alors que notre
promenade touchait à sa fin.
-A vrai dire…
-Vous avez un
visage intéressant, continua-t-il sur un ton plein d'autorité auquel
il était difficile de résister. Passez me voir à mon bureau. Nous
verrons l'effet qu'il donne sur un écran." […] Ce qui est sûr, c'est que
mon instinct me poussa à accepter aussitôt cette invitation reçue
dans le romantique jardin aux roses. Je ne me souviens pas si j'y suis
allée dès le lendemain matin ou si j'ai laissé passer un jour ou deux.
Le fait est que j'étais très impatiente de comprendre si son intérêt
pour moi était aussi sincère et fondé qu'il m'avait semblé. Comme
d'ordinaire, ma mère voulut m'accompagner ; mais cette fois-là, je la
retins dans son élan. « Mammina, il vaut mieux que j'y aille seule. »
Elle me lança un regard à la fois vexé et inquiet, et essaya
d'insister. J'avais toutefois bien mûri ma décision, et rien ne me
ferait plus changer d'avis.
[…] J'étais vraiment jeune, j'avais
devant moi un homme puissant, beaucoup plus âgé et expérimenté que
moi ; je commençais à m'attacher à lui et il tenait entre ses mains le
fil de mon destin… […] Par certains aspects, sa présence avait cette
saveur paternelle qui m'avait toujours manqué. Il était pour moi comme
une sorte d'ancre, de lien qui vous rattache au port, alors que tout le
reste n'est que mouvement inquiétant, excitant, frénétique. Cet
homme entrait dans ma vie à petits pas, sans que je m'en rende
compte […]
Quand Cary Grant sème le trouble…
[…] La
première fois qu'il m'invita à dîner, je crus que je n'avais pas bien
compris et je réagis avec toute la naïveté dont j'étais capable : « You and me ? Out for dinner ? Are you sure ? »
Que pouvait-il bien trouver d'intéressant à cette gamine italienne
qui baragouinait à peine l'anglais et qui avait moins de la moitié de
son âge ? Et de quoi allions-nous parler, tout au long de cette soirée ?
Il ne se troubla pas. « Yes darling, you and me, out for dinner. »
[…] Ce fut une soirée magique, hors du temps, durant laquelle nous
bavardâmes comme de vieux amis, enivrés par les parfums de cette fin de
printemps. […] J'étais fascinée par son humour sec, par sa sagesse
pleine d'affection, par son expérience. J'appris beaucoup rien qu'à
observer son approche de la vie et de notre métier. Nous prîmes
l'habitude de passer de plus en plus de temps ensemble. J'étais alors
âgée de vingt-deux ans, et je me sentais étourdie pas une existence
qui allait trop vite ; il en avait cinquante-deux et avait déjà
beaucoup vécu et beaucoup souffert, même si, en apparence, rien ne
lui manquait. […] Nous devinions tous deux que le sentiment qui nous
liait commençait à prendre une nuance d'amour, et, bien que pour des
raisons différentes, cela nous faisait peur. J'appartenais à Carlo,
qui était désormais mon foyer et ma famille, même s'il en avait déjà
une et que nous ne savions absolument pas quand nous pourrions nous
marier et vivre ensemble au grand jour. Cary aussi était marié et son
épouse, Betsy Drake, multipliait les allées et venues sur le tournage. Il ne se passait plus rien entre eux depuis une époque bien antérieure à Orgueil et Passion,
mais elle espérait peut-être encore le reconquérir […] Par chance,
nous logions dans deux hôtels différents, ce qui nous aidait à
maintenir un minimum de distance. […] Je me laissais séduire par ses
paroles, mais je conservais toujours une certaine retenue. Je ne
voulais pas, je ne pouvais pas lui donner de faux espoirs. […] J'étais
de plus en plus tiraillée, entre deux hommes et surtout entre deux
mondes. Chaque matin, je me réveillais en me demandant ce qui allait se
passer dans la journée. Je savais que ma place était auprès de Carlo,
c'était lui mon port d'attache […] Mais dans le même temps, il était
difficile de résister au magnétisme d'un homme tel que Cary, qui se
disait prêt à renoncer à tout pour moi. Le dernier soir, il m'invita à
dîner avec un brin de solennité supplémentaire. Je me mis, en mon for
intérieur, à éprouver les pires craintes. Je n'étais pas préparée à
ce qu'il s'apprêtait à me dire. De but en blanc, dans le triomphe d'un
splendide crépuscule, il s'immobilisa, me regarda droit dans les
yeux et me dit simplement : « Veux-tu m'épouser ? » (…) Je finis par
murmurer, avec un filet de voix : « Cary, mon très cher, j'ai besoin de
temps. » Je me sentais toute petite face à un choix impossible. Il
comprit et amortit le choc par une touche d'humour léger : « Pourquoi
ne pas nous marier en attendant, et éventuellement y réfléchir
après ? » […]
Maman, son plus beau rôle.
[…] Je perdis un deuxième enfant pendant le tournage de La Belle et le Cavalier, un beau conte de fées de Francesco Rosi avec Omar Sharif
[…] Mon gynécologue, pourtant considéré comme le meilleur de Rome,
ne m'aida pas beaucoup. Bien au contraire. Lorsque je ressentis ces
douleurs que je connaissais, hélas, déjà, j'étais chez moi (nous
habitions depuis quelque temps dans une très belle villa à Marino, sur
les collines des environs de Rome) ; Carlo était à Londres pour
affaires, mais mon cher ami Basilio me tenait compagnie. (…) « Venez
tout de suite, je vous en prie… Je vous répète que madame Loren a des
contractions, elle est très pâle, elle se sent défaillir. » Le grand
professeur ne se laissa pas attendrir et se contenta de déclarer,
avec beaucoup de morgue : « Mais ce n'est rien du tout, donnez-lui une
camomille et nous en reparlerons demain. » […] Lorsque, à quatre
heures du matin, les douleurs cessèrent, je compris que tout était fini.
Ines (son assistante, ndlr) appela le professeur, pour le mettre
devant le fait accompli. Il arriva sans se départir de son calme, vers
six heures, et se montra pour le moins tranchant : « Madame, vous avez
certainement de très belles hanches, vous êtes une femme splendide,
mais vous n'aurez jamais d'enfants. » Cette phrase me donna la
sensation d'être une incapable, stérile et profondément inadaptée,
et elle anéantit tous mes espoirs. Nous étions bien loin du conte de
fées. Ma vie partait à la dérive, triste et sans avenir. Et les
journaux prirent soin de rendre les choses plus difficiles, en étalant
notre douleur à tous les coins de rue. […] Mais heureusement, face
aux obstacles, le sort vous réserve parfois d'agréables surprises : un
léger souffle de vent qui permet de virer de bord ; l'annonce d'une
solution. Et ce fut le cas pour nous. […] Il s'appelait Hubert de
Watteville et dirigeait le service de gynécologie de l'hôpital
cantonal de Genève. Grand et très maigre, âgé d'une soixantaine
d'années, il avait un nez aquilin et des manières aristocratiques,
quelque peu distantes. […] Après avoir longuement étudié mon cas, il en
arriva à des conclusions bien plus optimistes que je ne craignais.
« Il n'y a rien qui cloche, vous êtes une femme tout à fait normale. La
prochaine fois que vous tomberez enceinte, il faudra vous suivre de
très près pour bien comprendre comment intervenir. Vous verrez, cette
fois-ci, tout se passera bien. »
Lorsque, début 1968, ma
troisième grossesse se déclara, je m'installai à Genève. Je choisis
un hôtel près du cabinet du professeur, je me mis au lit et
j'attendis patiemment, sous son regard plein d'autorité,
l'accomplissement du miracle. Il m'examina dans tous les sens, me
prescrivit tous les examens possibles et finit par me dire en
souriant : « Votre problème tient à un manque d'oestrogènes, qui
empêche l'œuf de s'attacher. Nous allons vous en donner, sous forme de
belles piqûres, et votre enfant naîtra en décembre. Comme le petit
Jésus ! » […] Afin d'éviter toute complication supplémentaire, il
avait été décidé de procéder à une césarienne ; le jour convenu,
Watteville vint me chercher en cachette à cinq heures du matin
[…] Carlo Hubert Leone Jr naquit quelques heures plus tard : Carlo comme
son père, Hubert en hommage au docteur de Watteville, Leone pour
rappeler son grand-père paternel. Il m'offrit la douceur la plus
intense que j'aie jamais éprouvée ; elle n'eut d'égale que celle que me
donna Edoardo, quatre ans plus tard. Maintenant oui, mon conte de
fées, le vrai, était devenu réalité.
Sources : Gala, web
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